16 février 2011

Pourquoi lisons-nous ? et comment ?

Comme nous l'avons vu précédemment, l'homme a adapté la lecture selon ses capacités physiques. Aucun choix n'est le fruit du hasard. Petit à petit l'homme a tâtonné et apporté des améliorations. Ces 5000 dernières années, nous avons modifié l'écriture afin de rendre notre lecture plus performante : rapidité et confort. Par exemple, nous sommes passés de la lecture à voix haute à la lecture à voix basse, puis silencieuse, ce qui nous fait gagner un temps considérable. Nous avons de cette même manière ajouter des espaces et la ponctuation entre les mots et les phrases, ce qui permet également une lecture plus fluide. etc. 

Les documents écrits (manuscrits, imprimés ou désormais numériques) ont longtemps été les seuls moyens d'acquisitions et de transmissions de connaissances, autre que par la transmission orale. Au cours du XXe siècle, de nombreuses technologies auraient pu détrôner son statut, telle que la radio ou la télévision (=moyens visuels et sonores). On constate pourtant qu'à la suite de ces nouveautés, l'imprimé n'a cessé de croître. La lecture est à ce jour, le moyen d'acquisition de données le plus performant. En effet, lorsqu'un conférencier prononce 9000 mots en une heure, le lecteur en lit 27000 en une heure. Les mécanismes cérébraux de la lecture sont très performants et plus rapide que ceux de l'articulation ou de l'audition. La lecture a un intermédiaire de moins car le texte lu est directement transmis en idée.

Nous pouvons avant tout, même si cela semble être une évidence, réaliser à quel point il a été ingénieux d'employer la voie d'entrée des yeux pour lire. D'autres moyens auraient pu nous permettre cette activité, prenons l'exemple du Braille, à partir duquel nous lisons avec les doigts. 

Après avoir mentionner rapidement pourquoi nous lisons, je souhaite montrer comment est-ce que nous lisons, en commençant par la première étape, celle de l'entrée visuelle des mots.
La lecture débute avec la rétine. Nous lisons grâce à notre fovea, mais seul sa partie centrale permet une résolution parfaite (à cela s’ajoute quelques informations supplémentaires recueillies grâce à notre vision parafovéale). Cette faible netteté, restreinte au centre de notre œil, explique le besoin de déplacements successifs pour pouvoir lire. Nous avons découvert grâce aux recherches d'Émile Javal et ses collaborateurs (1880), que nous exerçons la lecture par saccades entrecoupées de points de fixation. Depuis, bien des recherches nous permettent d'en savoir davantage sur ce phénomène.



Sere, Marendaz et Herault, Perception, 2000


Sere, Marendaz et Herault, à l'aide de cet algorithme, nous permettent de visualiser ce que nous percevons lors de chaque point de fixation.Le deuxième document nous montre qu'il est guère utile d'agrandir le corps de la police car nous recueillons toujours autant de signes à la fois. Le seul moyen de récupérer des informations supplémentaires consiste par conséquent à déplacer notre regard le long des lignes. 


 McConkie et Rayner, Le paradigme de la fenêtre mobile, 1975


Deux autres chercheurs, McConkie et Rayner, se sont penchés sur ces questions. Ils ont masqué les lettres environnantes de nos fixations, avec l’aide d’un procédé scientifique qui suivait précisément l’endroit où se portait le regard du lecteur. Ils sont alors parvenus à déterminer le nombre de lettres puisées lors d’une saccade. Ces expériences ont ainsi montré que nous percevons 3 à 4 lettres à gauche et 7 à 8 lettres à droite du point de fixation de notre regard, à une vitesse de lecture normale.
On réalise de cette manière que le lecteur n’a pas conscience de la manipulation qu’il subit, ce qui signifie que lorsque nous pensons voir l’ensemble de la page, nous en percevons seulement une infime partie. Notre champ de lecture au cours d’une saccade semble donc réduit et nous pouvons en déduire que nous récupérons des séquences d’informations, presque au mot par mot, ce qui correspondrait à l’équivalent de 1 ou 2 mots en français.

Il me semble intéressant d'analyser des fonctions que l'on croit naturelles, mais qui sont liées à l'évolution de l'homme et à sa faculté de s'adapter. De découvrir qu'aucun choix n'est arbitraire, du sens de lecture (majoritaire) de gauche à droite, à la forme des lettres, etc. Je tenterai d'éclairer ces questions dans un prochain article.

S. 

3 février 2011

Plaque découpée universelle

Images issues de la revue Typographic papers nº 7 (2007),
publiée par l'université de Reading.

Aujourd'hui, j'ai fait une découverte intéressante : la plaque découpée universelle. Elle fut mise au point par l'ingénieur J.-A. David en 1876. Elle se présente comme une plaque de zinc, de 113 x 65 mm, découpée à la manière d'un pochoir. Grâce à un certain nombre de découpes, elle était supposée permettre de réaliser un alphabet complet. Les matrices proposées sont autant de modules potentiels à partir desquels il est possible de créer des lettres et des combinaisons de signes.

Sur les images, le rendu est impressionnant. Pour montrer le bien fondé de sa trouvaille, J.-A. David a mis au point une linéale géométrique extrêmement novatrice – sachant qu'on est en 1876 ! –. Autant dire que cette invention a dû considérablement influencer le mouvement moderne et ses nombreux alphabets modulaires/géométriques (Herbert Bayer, Josef Albers, etc.).

M.

16 janvier 2011

Le Club du meilleur livre


Hier, j'ai été à la Galerie Anatome voir la dernière expo intitulée le Club du meilleur livre. La scénographie était vraiment sympa et bien pensée : un mur entier était couvert de doubles-pages scannées offrant un bon aperçu du chemin de fer des livres, de nombreux ouvrages étaient manipulables (ce qui est une bonne chose!) et d'autres exposés dans des vitrines. Au final, ça donnait une exposition assez dense qui avait un air des Plus beaux livres français (qui malheureusement n'auront pas lieu cette année, faute de moyens…).

Concernant les livres eux-mêmes, il y avait de beaux spécimens. Le travail sur les couvertures et les entrées de livres sont assez remarquables. Par contre, j'ai été déçu par la composition du texte courant, qui n'était pas si travaillée que ça (à quelques exceptions près). Disons que pour des livres de bibliophilie, je m'attendais à mieux.
À vrai dire, je pense que j'ai été déçu en partie parce que j'admire beaucoup le travail de Pierre Faucheux, notamment les ouvrages qu'il a réalisé pour le Club français du livre (cf. le très bon article paru dans le Marie-Louise nº 2). Les maquettistes qui ont travaillé pour le Club du meilleur livre (Massin, Darche, etc.) ont été nettement influencés par l'art de Faucheux (ils l'ont avoué eux-mêmes). On retrouve donc beaucoup de choses que Faucheux avait mis en place : considérer la première et la quatrième de couverture comme un seul et même espace, réaliser des entrées de livres sur plusieurs pages, à la manière d'une générique de film, etc. Malheureusement pour eux, je pense que ses successeurs n'ont pas réussi à exceller autant que lui…

M.

10 janvier 2011

FF Balance et ses vertus

Nous avons vu précédemment, avec les anciennes recherches de Maître Leclerc (article sur la Perception de la lettre et du mot/décembre), qu'il est possible de reconnaître les lettres et donc de lire les mots, en se basant sur la partie supérieure des lettres.
 Maître Leclerc, 1843, 
While You're Reading, Gerard Unger, 
Mark Batty Publisher, 2007, p.70

À ma connaissance, deux typographies ont été dessiné en prenant en compte cette idée : Le FF Balance de Evert Bloemsma, et plus antérieurement encore, l'Antique Olive de Roger Excoffon.

Evert Bloemsma remet en question les principes fondamentaux car il considère qu'il n'y a pas de raisons fonctionnelles dans les proportions classiques des lettres. Il souligne l'importance de la moitié supérieure des lettres de la plupart des caractères et de ce fait, il décide de renforcer cette partie afin d'encourager une meilleure lisibilité.
Ainsi il s'écarte de la répartition traditionnel des proportions dans le dessin de caractère. Et nous pouvons constater ce phénomène en comparant différentes polices entre elles. L'exemple le plus flagrant me semble être avec la lettre o, on peut vraiment noter que la partie supérieure du dessin est très marquée, c'est même sans doute la partie la plus large de la lettre, contrairement au dessin de l'Helvetica ou encore de l'Univers ou les pleins sont légèrement marqués au niveau de la partie verticale et non de la partie horizontale.







Evert Bloemsma était fasciné par les typographies suisses. Il trouvait que les typographies avec empattements étaient obsolètes car elles transportent malgré elles une grande charge de traditions. Ainsi il s'est consacré au dessin de caractère de linéales.
Cela m'amène a une interrogation. Pour un texte courant il est conseillé d'employer une sérif (encore un autre débat) car les empattements ont pour avantage de dessiner une ligne de base virtuelle et remplissent mieux l'espace contrairement aux linéales qui donnent un effet de zébrure et de ce fait, rendent la lecture continue moins fluide (même si ce ne sont pas les seuls paramètres en jeu : l'interlignage, les pleins et les déliés...)
Du coup, pour concevoir une sans sérif, je trouve éventuellement intéressant de mettre l'accent sur les lignes horizontales des lettres sans pour autant doter les caractères de sérifs. Ces lignes horizontales peuvent être un substitut ou du moins un compromis et permettre une lecture plus fluide pour un texte de labeur, en créant un gris plus homogène et un guide pour l'œil. Mais ça reste à prouver en pratique...

 S.

7 janvier 2011

Étrange manière de lire...


La liseuse de romans, Antoine Wiertz, 1853. 

S.