Les documents écrits (manuscrits, imprimés ou désormais numériques) ont longtemps été les seuls moyens d'acquisitions et de transmissions de connaissances, autre que par la transmission orale. Au cours du XXe siècle, de nombreuses technologies auraient pu détrôner son statut, telle que la radio ou la télévision (=moyens visuels et sonores). On constate pourtant qu'à la suite de ces nouveautés, l'imprimé n'a cessé de croître. La lecture est à ce jour, le moyen d'acquisition de données le plus performant. En effet, lorsqu'un conférencier prononce 9000 mots en une heure, le lecteur en lit 27000 en une heure. Les mécanismes cérébraux de la lecture sont très performants et plus rapide que ceux de l'articulation ou de l'audition. La lecture a un intermédiaire de moins car le texte lu est directement transmis en idée.
Nous pouvons avant tout, même si cela semble être une évidence, réaliser à quel point il a été ingénieux d'employer la voie d'entrée des yeux pour lire. D'autres moyens auraient pu nous permettre cette activité, prenons l'exemple du Braille, à partir duquel nous lisons avec les doigts.
Après avoir mentionner rapidement pourquoi nous lisons, je souhaite montrer comment est-ce que nous lisons, en commençant par la première étape, celle de l'entrée visuelle des mots.
La lecture débute avec la rétine. Nous lisons grâce à notre fovea, mais seul sa partie centrale permet une résolution parfaite (à cela s’ajoute quelques informations supplémentaires recueillies grâce à notre vision parafovéale). Cette faible netteté, restreinte au centre de notre œil, explique le besoin de déplacements successifs pour pouvoir lire. Nous avons découvert grâce aux recherches d'Émile Javal et ses collaborateurs (1880), que nous exerçons la lecture par saccades entrecoupées de points de fixation. Depuis, bien des recherches nous permettent d'en savoir davantage sur ce phénomène.
Sere, Marendaz et Herault, Perception, 2000
Sere, Marendaz et Herault, à l'aide de cet algorithme, nous permettent de visualiser ce que nous percevons lors de chaque point de fixation.Le deuxième document nous montre qu'il est guère utile d'agrandir le corps de la police car nous recueillons toujours autant de signes à la fois. Le seul moyen de récupérer des informations supplémentaires consiste par conséquent à déplacer notre regard le long des lignes.
McConkie et Rayner, Le paradigme de la fenêtre mobile, 1975
Deux autres chercheurs, McConkie et Rayner, se sont penchés sur ces questions. Ils ont masqué les lettres environnantes de nos fixations, avec l’aide d’un procédé scientifique qui suivait précisément l’endroit où se portait le regard du lecteur. Ils sont alors parvenus à déterminer le nombre de lettres puisées lors d’une saccade. Ces expériences ont ainsi montré que nous percevons 3 à 4 lettres à gauche et 7 à 8 lettres à droite du point de fixation de notre regard, à une vitesse de lecture normale.
On réalise de cette manière que le lecteur n’a pas conscience de la manipulation qu’il subit, ce qui signifie que lorsque nous pensons voir l’ensemble de la page, nous en percevons seulement une infime partie. Notre champ de lecture au cours d’une saccade semble donc réduit et nous pouvons en déduire que nous récupérons des séquences d’informations, presque au mot par mot, ce qui correspondrait à l’équivalent de 1 ou 2 mots en français.
Il me semble intéressant d'analyser des fonctions que l'on croit naturelles, mais qui sont liées à l'évolution de l'homme et à sa faculté de s'adapter. De découvrir qu'aucun choix n'est arbitraire, du sens de lecture (majoritaire) de gauche à droite, à la forme des lettres, etc. Je tenterai d'éclairer ces questions dans un prochain article.
S.